La prévention spécialisée
Nous pouvons définir la prévention spécialisée comme une forme spécifique d’action sociale d’émancipation et de travail éducatif de proximité.
La finalité de la prévention spécialisée est de veiller au développement le plus harmonieux de la vie des jeunes dans leur vie sociale quotidienne. Il s’agit de traverser aux côtés des adolescents, un nombre incalculable de situations qui peuvent les conduire à faire de mauvais choix, à méconnaître les risques qu’ils encourent, à négliger les règles communément admises en société, à hypothéquer leur chance d’avenir.
Les éducateurs de prévention spécialisée ont pour objectif principal d’être présents quotidiennement dans le secteur géographique qui leur est désigné, d’être acceptés et d’établir des contacts concrets avec les jeunes, de conserver ces relations dans la durée. Il s’agit de maintenir et de développer des relations de confiance avec le public et de créer les conditions d’un dialogue ouvert.
- Entendre ce que les jeunes expriment le plus directement et verbalement.
- Saisir et comprendre ce que le comportement des jeunes signifie en terme d’attentes et de besoins.
- Proposer des réponses appropriées en facilitant et en adaptant l’utilisation des moyens de droit commun existant au plan local, voire en proposant la mise en place de réponses spécifiques nouvelles et complémentaires, lorsqu’elles n’existent pas encore.
Les principes d’intervention
La libre adhésion du public
La libre adhésion signifie que la personne est actrice de son accompagnement et qu’elle est libre d’y adhérer : c’est elle qui s’exprime sur où et comment elle a envie de cheminer avec le service. L’altération ou la rupture d’adhésion, y compris volontaire, ne peuvent faire l’objet d’une sanction. Á ce titre, les membres de l’équipe de prévention spécialisée ne peuvent s’en remettre qu’au travail de consolidation d’une relation, relation qui est à la base même de l’adhésion.
Ainsi, amener vers et préserver le lien sont deux interventions socles sur lesquelles se fonde tout accompagnement.
Il est par ailleurs à préciser, dans une logique « d’amener vers », que les membres de Vilaje se donnent une obligation de moyens : la libre adhésion ne renvoyant d’aucune manière à de la passivité et demandant, au contraire, un travail conséquent et intense pour susciter une volonté d’adhérer et de poursuivre une démarche.
Au croisement de cette question de la libre adhésion, se trouve en dernier lieu celle de l’absence de toute contrainte institutionnelle.
Si la relation est libre, elle est également libérée de tout marqueur institutionnel.
Cette situation demande aux éducateurs/-trices de pouvoir renforcer leur capacité à faire autorité. Si la relation est libre et non institutionnalisée, il semble en effet nécessaire de lui conférer un attrait et un intérêt.
Ces deux dimensions relationnelles sont, en ce sens, ce que nous dénommons « autorité » : la personne qui s’inscrit dans une action et une relation doit pouvoir positionner l’éducateur/trice à une place d’autorité. Cette place ne pourra être obtenue et préservée que si la personne accompagnée confère une valeur à la relation qui est nouée.
Non institutionnalisation des actions
La non institutionnalisation des actions signifie qu’il n’appartient pas à un service de prévention spécialisée de s’inscrire dans une logique de pérennisation d’actions, qu’elles soient sociales, éducatives ou pédagogiques.
Si un service de prévention spécialisée met en œuvre un travail d’identification des besoins et de participation à la création de réponses, il n’a pas vocation à devenir gestionnaire des dispositifs ou des services qui pourront voir le jour suite à ce travail de diagnostic et de coopération.
L’équipe de prévention spécialisée de l’association Vilaje tient fortement à ce principe au risque de perdre ce qui fait l’essence même de la prévention spécialisée.
Mandat territorial
Le mandat territorial en prévention spécialisée consiste à s’inscrire dans une dynamique d’aller vers sur un territoire donné. Aller vers étant le corollaire de la mise en place d’un accès direct et de proximité au service de prévention spécialisée.
Il est ainsi primordial que le service de prévention spécialisée puisse connaître profondément le territoire d’intervention afin de savoir où et quand se positionner afin de permettre cet accès et cette proximité.
Territoire géographique, mais avant tout et surtout social et sociétal, l’intervention territoriale demande en tout état de cause à déployer des trésors d’observation et de connaissances (géographie sociale, sociologie du territoire).
Le mandat territorial est aussi une notion très différente de la notion de mandat nominal (ou mandat nominatif). Il s’agit en ce sens d’intervenir avec un mandat donné par une autorité publique à l’échelle d’un territoire et non à celle d’une individualité (à la différence de certains services de protection de l’enfance qui interviennent par exemple à partir d’une ordonnance de jugement et/ou d’une orientation nominative).
Développement social local
Le développement social local à Vilaje consiste à participer au développement d’un territoire sous la forme d’appui aux actions déployées, mais surtout en termes d’apports de connaissance et de stimulation du pouvoir d’agir des personnes (en ayant à cœur d’essayer d’intégrer toutes les personnes qui constituent la population d’un territoire). Il s’agit ici de venir en appui des personnes sans se substituer à elles, mais en permettant leur pleine expression.
La notion de développement social local à Vilaje est également fortement inspirée du courant de « l’animation sociale » conceptualisé par Saül ALINSKY. L’idée étant de positionner le service plutôt en tant que “passeur de parole(s) “ que comme un porte-parole (parler pour et à la place de). L'objectif de l'animation sociale tend, dans cette dynamique, à promouvoir l’autonomisation des personnes et des communautés, en leur donnant les outils, les compétences et les ressources nécessaires pour prendre en charge leur propre développement.
Confidentialité et respect de l’anonymat
Le principe d’anonymat a notamment deux visées complémentaires : le respect de la confidentialité de la personne et le respect de la confidentialité des informations détenues par les professionnels de prévention spécialisée (secret professionnel). Le respect de l'anonymat exige donc de la discrétion et de la confidentialité.
La personne accompagnée au sein d’un service de prévention spécialisée n’a pas à décliner son identité et son statut (il n’existe pas de conditions d’entrée en relation).
Ce principe d’anonymat implique également que l’équipe éducative n’établit aucun dossier nominatif qui puisse être partagé. Ce principe découle directement des deux autres : la personne ayant la maîtrise du maintien ou non de la relation, l’anonymat lui offre une garantie supplémentaire.
Alterinstitutionnalité
Les services de prévention spécialisée prônent souvent l’interinstitutionnalité.
L'interinstitutionnalité, également appelée intersectorialité, est un concept qui fait référence à la collaboration et à la coordination entre différentes institutions ou organisations pour aborder un problème ou une question particulière.
L’équipe de Vilaje met en avant un autre concept : celui d’alterinstitutionnalité.
De manière générale, l'alter-institutionalité fait référence à une approche qui remet en question ou propose des alternatives aux institutions existantes. Il s'agit d'un concept qui explore et promeut des formes d'organisation sociale, culturelle, économique et politique différentes de celles établies. L'alterinstitutionalité s'intéresse aux pratiques et aux initiatives qui remettent en question les modèles traditionnels de gouvernance et cherchent à créer de nouvelles formes d'organisation basées sur des valeurs telles que la participation, la collaboration, la diversité et la durabilité. Elle vise à repenser les institutions classiques et à promouvoir des transformations sociales et systémiques.
Dans le sens où l’entend Vilaje, l’aterinsitutionnalité est une forme de collaboration où les institutions se reconnaissent entre elles dans leurs interventions, dans leurs différences autant que dans leurs valeurs et principes.
L’alterinstitutionnalité renvoie aussi à la question de l’évolution des institutions, et de la prise en compte de cette évolution (co-évolution).
L’application des principes
L’application des principes de la prévention spécialisée n’est pas un exercice évident. Il suggère de la réflexion, de la prudence et de la stratégie.
La question du mandat et de la libre adhésion
L’autorité dans un service de prévention spécialisée n’est pas conférée par un statut, un mandat, une institution, mais par la capacité des professionnels à engager une relation. Cette capacité renvoie plus aux savoir-être qu’aux seuls savoir-faire et aux savoirs qui les accompagnent.
L’accompagnement des professionnels ne peut se réduire en ce sens à un plan de développement des compétences décliné en des temps de formation. Il s’agit, en complément, d’offrir un système de pensée et une ambiance d’équipe propice à ce travail d’engagement relationnel (savoir engager une relation, maintenir un engagement et parfois aussi, savoir se désengager).
La fluidité des accompagnements
La dimension relationnelle étant constitutive d’un accompagnement, un travail de relais peut être opéré en prévention spécialisée, mais il est autrement plus difficile, pour ne pas dire tout simplement impossible, de transférer une relation. Dans ce cas la relation sera autre, ou ne sera pas. La continuité des accompagnements formels (accès aux droits, …) est ainsi prévue et travaillée, la continuité de la relation dépendra de la personne.
La bientraitance relationnelle
La dimension relationnelle étant première en prévention spécialisée, les interrogations en termes de démarche de bientraitance demandent à être posées autant sur les pratiques (cordialité, confidentialité, consentement, coopération, dignité, sécurité, liberté…) que sur les postures avec notamment la prévention de certains risques relationnels.
La confidentialité et l’anonymat
La confidentialité et l’anonymat renvoient à des questions en termes d’éthique professionnelle et en particulier en ce qui concerne les limites d’une parole donnée (question morale), du secret professionnel et des principes généraux du droit (question juridique) : qu’est-ce qu’un membre de l’équipe doit signaler ? Cette simple interrogation ouvre un champ de réflexion éthiquement complexe. Vilaje a statué pour partie en mettant en avant que tout membre de l’équipe éducative doit pouvoir être capable de justifier ce qu’il peut dire ou ne pas dire auprès de qui le demande (institution, personne accompagnée, autres membres de l’équipe, entourage…). En termes de protection de l’enfance, l’équipe veillera aussi à assurer et à assumer sa mission dans le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant ou de l’adolescent accompagné.
Créativité, invention et personnalisation
Vilaje, comme la majorité des services de prévention spécialisée, se destine à œuvrer auprès de personnes, en priorité des jeunes mineurs, qui, pour la plupart sont plus ou moins en marge. Les outils mobilisés classiquement ont souvent démontré une relative voire une pleine inefficacité auprès de ce public. La posture institutionnelle effraie ou rebute. La logique de contractualisation est évitée, voire combattue. La confiance n’est pas facilement acquise voire reste toujours à rechercher, à retravailler au fil des rencontres. Un mot peut tout arrêter de la relation professionnelle qui a été initiée. Il faut inventer, créer, personnaliser (au plus loin que l’on peut personnaliser).
Cette approche percute, voire vient en contradiction, d’une logique actuelle de standardisation et d’homogénéisation des pratiques. Un équilibre fragile et difficile est à trouver.
Partenariat et institutionnalité
De l’interinstitutionnalité à l’alterinstitutionnalité, ces concepts ne pourraient connaître de traduction pratique sans un travail partenarial élargi.
Ce travail partenarial pouvant se décliner en un :
- Partenariat institutionnel (partage d’expériences, de connaissances, échanges d’information entre deux ou plusieurs institutions) ;
- Partenariat de projet (intervention croisée et/ou partagée sur un ou sur des projets donnés) ;
- Partenariat de situation (intervention croisée et/ou partagée en ce qui concerne la situation d’une personne ou d’un groupe de personnes).
L’équipe
Le déploiement des principes de Vilaje et par extension des principes de la prévention spécialisée, nécessite une équipe en capacité de traduire ces principes sous la forme de pratiques professionnelles. La dimension de l’équipe c’est aussi un moyen pour continuer à faire vivre ces principes et de travailler leur adaptation aux évolutions d’un public, d’un territoire, d’un contexte ou d’une politique publique.